Un ami m’a récemment avoué qu’il ne comprenait rien aux débats actuels autour du wokisme. J’ai pu constater que de nombreuses personnes sincèrement progressistes en niaient l’existence comme une invention d’extrême droite. Ou bien au contraire en défendaient les postures sans comprendre que cela les amenait à défendre des positions contredisant radicalement leurs propres valeurs.
Pour bien comprendre ce phénomène, il est important de rester ancré dans le réel et de prendre une vue d’ensemble.
A l’origine du wokisme il y a la pensée intersectionnelle qui représente en soi un véritable progrès. C’est la prise en compte du fait que l’on ne vit pas les mêmes choses de la même façon en étant noir ou blanc, homme ou femme, homosexuel ou hétérosexuel, valide ou handicapé par exemple. Au départ c’est une démarche de déconstruction qui invite chacun.e à se décentrer par rapport à la posture générique du mâle blanc hétéro centré, pour être plus empathique de toutes les différences et plus riche de toutes ces expériences plurielles, que l’universalisme avait tendance à niveler. De là est née l’image de la soupe chinoise mitonnée dans un wok, ses éléments distincts formant un tout riche de toutes ses saveurs.
Là-dessus s’est greffé progressivement une idéologie délirante et galopante dans l’extrémisme, autour de revendications identitaires, favorisés par la recherche attentionnelle amplifiée par les algorithmes des réseaux sociaux.
Sur le net, plus une personne accuse et revendique en se positionnant en victime, plus elle se fabrique d’ennemis qu’elle attaque outrageusement, plus elle obtient en retour de l’attention de la part d’autrui. Ceci lui permet de cumuler des followers, qui se traduisent en « likes » lesquels vont amplifier en retour l’attention sur ses messages.
Ce phénomène attentionnel invite les personnes les plus fragiles (celles qui n’ont pas de vraie vie sociale) à se construire une autre vie sur les réseaux sociaux et aller toujours plus loin dans la surenchère identitaire revendicatrice.
Les algorithmes des réseaux sociaux (mis en évidence récemment par l’ex cadre de Facebook Frances Haugen) favorisent le rassemblement des personnes motivées par les mêmes sujets. Ils les amplifient considérablement en leur fournissant une caisse de résonance majeure qui bénéficie de plein fouet aux messages identitaires victimaires.
Il est important de dépasser ce constat pour comprendre que la recherche d’attention agit sur la cognition comme une drogue. Sur un plan comportemental, elle représente une « récompense » de très haut niveau qui va motiver la personne émettant le comportement récompensé (poster un message identitaire victimaire haineux) à réitérer la démarche et aller toujours plus loin dans le procès social qu’elle émet à l’égard de ses ennemis, afin de recueillir en retour le maximum de likes signifiant l’adhésion de la communauté à son discours.
Nous sommes des cerveaux sociaux. Nos centres d’intérêts, notre identité, sont façonnés par l’attention que l’on nous porte. La personne devient dépendante de cette attention qui la booste et façonne son comportement, donc ses pensées, à son insu. Comme toute drogue, l’attention agit comme un apport extérieur qui vient priver le cerveau de ses propres ressources en dopamine. Il lui en faut toujours plus. Pour en avoir toujours plus, il faut aller toujours plus loin dans l’extrémisme des revendications pour mobiliser une communauté particulièrement labile.
Pour maintenir cette attention il est nécessaire de se démarquer des autres – un leader se doit d’en faire plus que les autres – tout en restant dans les valeurs de sa communauté. C’est ce qui explique que la recherche attentionnelle favorise la revendication de messages de plus en plus extrémistes motivés par une recherche de pureté idéologique.
L’extrémisme, c’est le seul moyen de se démarquer des autres, donc d’obtenir du pouvoir attentionnel, tout en restant à l’intérieur du mouvement.
Progressivement la démarche intersectionnelle de déconstruction de la posture du mâle blanc hétérocentré s’est transformée en une kyrielle de revendications victimaires dans une logique jusqu’au boutiste complètement déconnectée de la réalité, qui a fini par faire faire un virage à 180° par rapport à la démarche initiale.
C’est ainsi que des personnes se sont mises à développer une rhétorique ouvertement raciste, que l’universalisme combattait, au nom de l’anti racisme, qui n’est autre que du racisme « positivé ». Au point de vouloir par exemple faire des listes de médecins noirs ou « ethniques » pour les distinguer des blancs. Même l’extrême droite n’avait pas osé en rêver !
La même logique woke invite à considérer qu’un délinquant, un violeur, un criminel sous prétexte qu’il est de couleur, est avant tout victime d’un système et non pas responsable de ses actes. La couleur de la peau est sensée conditionner toute la personne au détriment du reste. C’est du pur racisme revendiqué.
Dans le même esprit, une grande partie de l’extrême gauche et des verts défend aujourd’hui les partisans de l’islam politique d’une manière aveugle, au motif que ces revendications émanant de personnes « racisées » doivent être défendues comme l’expression légitime d’une minorité opprimée. Quand bien même leurs revendications sont celles d’une extrême droite politique et religieuse à l’opposée des valeurs de la gauche : ségrégation radicale entre les sexes, mise à mort des homosexuels et des femmes adultères, condamnation à mort des athées, interdiction de toute liberté d’expression au profit d’une application stricte de la charia, etc.
En revanche, le wokisme n’accorde aucun crédit aux luttes des femmes iraniennes pour se dévoiler par exemple, ni aux combats menés par les intellectuels journalistes, hommes et femmes d’arts et de lettres de culture musulmane pour revendiquer leur liberté de choix, vivre leur homosexualité au grand jour, faire du sport, aimer la musique et danser, et vivre libérée du diktat de la religion. Bien qu’émanant de personnes tout aussi « racisées » que les barbus et les femmes voilées, ces combats sont condamnés au motif qu’ils seraient « racistes »!? Le wokisme a entériné le fait que les partisans de l’islam politique seraient des personnes opprimées à défendre, tandis que les personnes non blanches de culture musulmane qui se battent contre les diktats des théocraties islamistes seraient à ignorer, ou pire à combattre au nom de la lutte contre le racisme.
Dans la même logique d’un extrémisme à 180°, un groupuscule d’autistes asperger combat aujourd’hui toute démarche visant à favoriser l’autonomie et l’inclusion scolaire et sociale des personnes autistes lourdement handicapées car ce serait du « validisme », autrement dit une tentative de les obliger à se conformer aux normes des non autistes. Ces gens-là refusent de considérer que tous les autistes ne sont pas comme eux, n’ont pas les mêmes besoins qu’eux et que la plupart des personnes avec autisme ont besoin d’être accompagnés pour accéder à l’autonomie.
La même surenchère idéologique pousse les militants transactivistes et leurs sympathisants à combattre toutes les avancées acquises des milieux gays et lesbiens et des féministes depuis des décennies.
La soupe woke exige désormais de considérer que tout homme autoproclamé femme (= les femmes trans) soient considérés comme des femmes à part entière, et même des lesbiennes si ces hommes qui ont investis les stéréotypes féminins désirent avoir des relations sexuelles avec d’autres femmes.
Selon l’idéologie woke un pénis doit être considéré comme un organe sexuel féminin, dès lors qu’un homme déclare qu’il se sent femme. Les lesbiennes qui refusent d’avoir des relations sexuelles avec ces hommes en jupe, sont déclarées « transphobes ». L’idée même d’une attraction pour le même sexe est ainsi gommée. Se référer au consentement n’est plus permis. L’idéologie woke exige que n’importe quel homme auto déclaré femme ait accès à tous les espaces réservés aux femmes : toilettes et vestiaires publics, listes politiques paritaires, compétitions sportives féminines, etc. L’homosexualité, le féminisme, deviennent « transphobes ». Ces accusations de transphobie sont proférées au sein même des cercles LGBT et féministes contre des militants homosexuels et féministes.
Ce gigantesque retour en arrière illustre le virage à 180° d’une démarche intersectionnelle qui au départ était progressiste mais qui avec la surenchère idéologique déconnectée de la réalité et la violence des réseaux sociaux est devenue proprement fascisante. Nous sommes face à une maladie auto immune de la cognition, un cancer de la pensée, qui a force d’extrémisme se retourne contre elle-même et ses propres valeurs pour les combattre avec acharnement.
Les idéologues woke distribuent les menaces et considèrent comme étant d’extrême droite toutes celles et ceux qui ne pensent pas comme eux. Mais dans la réalité ils ne s’attaquent jamais à la véritable extrême droite. Bien au contraire ils s’attaquent systématiquement à des personnes plutôt de gauche, voire franchement à gauche, progressistes, qui s’opposent à leurs délires idéologiques en mettant en avant les menaces de régression sociale et les dangers qu’ils font peser sur les personnes les plus fragiles.
Aujourd’hui les féministes dites « intersectionnelles » ou « féministes libérales » (c’est à dire les féministes à la mode woke) passent le plus clair de leur temps à agresser les féministes dites « radicales » (=les féministes qui ne réduisent pas les femmes ni les hommes aux stéréotypes de genre, fusent-ils inversés) quitte à les silencier, les faire licencier, ou se faire de relai de menaces de mort et de viol sur les réseaux sociaux, plutôt qu’à tenter d’améliorer la condition des femmes.
A l’époque où j’étais au lycée, je restais stupéfaite devant ce chapitre de mes livres d’histoire relatant la propagande du IIIème Reich. Je me suis longuement demandée quel phénomène avait pu pousser autant de personnes à se livrer à de telles exactions, à être aussi naïves par rapport à des messages de haine aussi grossiers et déconnectés du réel. En grandissant je me suis posée les mêmes questions au sujet du communisme et de l’aveuglement de l’intelligentsia par rapport à l’économie du goulag, et la réalité de l’existence sous les dictatures communistes.
Même si l’égalité des droits était et est encore loin d’être acquis, je n’aurais jamais imaginé à l’époque que le sexisme pourrait s’exprimer plusieurs décennies plus tard de manière aussi violente et décomplexée que ne le fait aujourd’hui le transactivisme, au nom même d’une idéologie prétendant incarner le progrès dans sa version la plus pure !
L’idée sous-jacente qui émanait de mes enseignants était que tout cela était derrière nous. Le fait d’avoir du recul sur l’histoire nous protégerait de menaces ultérieures. En réalité chaque guerre se présente à chaque génération sous une forme différente. Chaque époque à sa propre ligne Maginot dont il faut se défaire pour s’adapter efficacement à la réalité et combattre enfin les vrais problèmes.
Le wokisme offre l’occasion rêvée pour certaines personnes TOP (souffrant de Trouble de l’Opposition avec Provocation) de s’exprimer en toute impunité à la faveur de l’anonymat et contribuer à polariser la société à l’extrême. Le problème est qu’encouragés par la lâcheté ambiante, cette pensée idéologique déconnectée de la réalité manifeste de plus en plus ses effets dans le réel.
Des cohortes d’anonymes cachés derrière l’anonymat de leur ordinateur fomentent des cabales pour exiger l’absence de débat, réduire au silence et faire licencier des chercheurs, et des personnalités – essentiellement des femmes influentes – autrement dit toute personne ne partageant pas leur extrémisme.
La soupe woke est devenue éminemment toxique. L’avantage de la situation est de nous permettre de sortir des livres d’histoire ces phénomènes de contamination idéologique de masse pour les observer en temps réel.
Sophie Robert
23 01 2022