Christina Buttons, autiste et journaliste indépendante : Substack.com, 24 mars 2023
Article original : How Autistic Traits Can Be Mistaken For Gender Dysphoria
Traduction par Magali Pignard.
Version PDF de cet article.
De nombreuses filles autistes ne sont pas diagnostiquées avant l’âge adulte, ce qui peut entraîner d’importants problèmes de santé mentale et des diagnostics précoces erronés.
Les enfants et les adolescents autistes sont représentés de manière disproportionnée au sein de l’importante et nouvelle cohorte de jeunes qui s’identifient comme transgenres.
Ces dernières années, le nombre d’adolescents et de jeunes adultes adoptant une identité transgenre a augmenté de façon exponentielle, suscitant un débat intense sur les causes sous-jacentes de ce phénomène. Le discours dominant sur cette question s’est concentré sur des facteurs tels que l’influence sociale, une plus grande acceptation sociétale et l’élargissement des définitions de ce que signifie être transgenre.
Cependant, un facteur important mais largement inexploré qui pourrait contribuer à cette tendance est l’autisme non diagnostiqué, en particulier chez les jeunes filles. Sans diagnostic, et même avec un diagnostic mais sans une compréhension claire de la manière dont les traits autistiques peuvent se présenter, ces traits peuvent être facilement confondus avec la dysphorie de genre et amener les individus à poursuivre des interventions médicales inappropriées et irréversibles.
Les troubles du spectre autistique (TSA) sont des troubles neuro-développementaux complexes qui affectent la communication, l’interaction sociale et le comportement et dont la gravité varie d’un individu à l’autre. Cependant, malgré son histoire et sa prévalence, ce trouble reste très mal compris, en particulier chez les filles.
Pendant la puberté, les filles autistes sont souvent confrontées à des difficultés sociales et sensorielles exacerbées en raison des changements hormonaux qui affectent leur corps et leur cerveau. Ces difficultés peuvent être aggravées par la pression qu’elles subissent pour faire face à des situations sociales et à des attentes qui ne leur sont pas familières, ce qui peut entraîner le développement de troubles concomitants tels que la dépression, l’anxiété et les problèmes d’image corporelle. Malheureusement, la difficulté de communiquer leurs expériences peut amener les professionnels de la santé mentale à négliger leur autisme sous-jacent.
Lorsque j’ai découvert les histoires des détransitionneurs, dont beaucoup ont également compris qu’ils étaient autistes après leur mésaventure, j’ai ressenti un lien fort avec eux, ce qui m’a motivée à devenir journaliste et à m’intéresser à leurs histoires.
J’ai eu des contacts avec beaucoup de ces jeunes hommes et femmes qui s’identifiaient auparavant comme transgenres […]. La prévalence de l’autisme parmi eux et la façon dont ces traits ont pu jouer un rôle central dans leur parcours de transition sont trop importantes pour être ignorées.
Bien que mes observations sur cette cohorte ne soient ni exhaustives ni concluantes, je pense qu’elles apportent néanmoins un éclairage indispensable sur cette population peu étudiée. Ces observations sont issues de mes conversations avec 48 détransitionneurs et de leurs témoignages écrits.
Sur les 48 détransitionneurs avec lesquels j’ai été en contact, 42 (32 femmes et 10 hommes) sont autistes confirmés ou suspectés de l’être (identification de traits autistiques). Bien que les 6 autres soient convaincus de ne pas être autistes, ils pensent que leur dysphorie de genre perçue est due à une variété d’autres raisons, y compris d’autres troubles psychiatriques.
Parmi les 42 détransitionneurs dont l’autisme est confirmé ou suspecté, seuls 5 ont été diagnostiqués avant ou pendant leur transition. Tous les cinq m’ont dit que s’ils avaient pleinement compris ce qu’impliquait l’autisme et comment il pouvait se manifester dans leur vie, ils n’auraient probablement pas cru qu’ils souffraient de dysphorie de genre. Ils ont également déclaré que l’« identité de genre » et les questions liées au transgenre étaient devenues leur « intérêt spécifique » pendant un certain temps.
Cette observation a également été faite par le Dr Kenneth Zucker, un psychologue qui dirige depuis 30 ans la plus grande clinique canadienne spécialisée dans les questions de genre chez les enfants, et qui pense que de nombreux adolescents autistes s’identifient comme transgenres en raison de leur tendance à se fixer ou à être obsédés par un « intérêt particulier ».
Quant aux 37 détransitionneurs restants, environ la moitié d’entre eux ont obtenu un diagnostic officiel après leur détransition et ont déclaré qu’un diagnostic d’autisme antérieur aurait pu les empêcher de recourir à des services de transition médicale, ce qu’ils regrettent aujourd’hui. Certains détransitionneurs ont écrit sur ces révélations.
L’autre moitié est soit en train de chercher une évaluation diagnostique, soit n’est pas intéressée, mais a découvert qu’elle s’identifiait à des traits autistiques. Parmi les raisons pour lesquelles ils ne cherchent pas activement à obtenir une évaluation, on peut citer les longs délais d’attente et un scepticisme général à l’égard des professionnels de la santé mentale qui n’ont pas réussi à les évaluer correctement par le passé.
La détransition des jeunes est en augmentation. […] Beaucoup estiment aujourd’hui qu’ils ont subi un préjudice médical en raison de leurs diverses interventions chimiques et chirurgicales.
L’un des moyens d’atténuer ces conséquences serait d’améliorer la sensibilisation sur l’autisme, en particulier sur la façon dont il se manifeste chez les filles, et de plaider en faveur d’un diagnostic précoce. Il ne s’agit pas de diminuer les expériences des adultes transgenres sur le spectre, mais plutôt d’écarter les faux positifs. Un diagnostic précoce de l’autisme pourrait empêcher certains de confondre l’autisme avec la dysphorie de genre.
Outre le dépistage précoce de l’autisme, le modèle de soins affirmatifs utilisé par de nombreuses organisations médicales américaines présente un risque important pour les personnes autistes vulnérables qui peuvent s’auto-diagnostiquer comme ayant une dysphorie de genre et rechercher des interventions médicales irréversibles pour soulager leur détresse.
Le modèle d’affirmation du genre qui a été largement adopté aux États-Unis empêche les professionnels de la santé de remettre en question l’identité transgenre déclarée par une personne ou d’explorer les facteurs sous-jacents possibles à l’origine de la dysphorie perçue. […]
Le modèle de soins affirmatif a été abandonné en Floride et dans des pays européens progressistes comme la Finlande, la Suède, le Royaume-Uni et, plus récemment, la Norvège, après avoir procédé à des examens systématiques des données disponibles et conclu que les risques de la transition médicale pédiatrique l’emportaient de loin sur les avantages supposés. Ces conclusions ont conduit à la fermeture d’importantes cliniques spécialisées dans les questions de genre, à des restrictions strictes sur l’utilisation d’hormones de sexe opposé et à l’interdiction des opérations chirurgicales liées au genre pour les mineurs. Les instances médicales d’Italie, d’Australie et d’Espagne ont récemment exprimé des préoccupations similaires.
Si les organisations médicales américaines étaient prêtes à revenir sur le modèle de soins affirmatif et à donner la priorité à des évaluations approfondies, réfléchies et individualisées qui explorent les raisons pour lesquelles une personne peut ressentir de la détresse par rapport à son sexe, elles pourraient éviter les diagnostics erronés et les traitements inappropriés.
Il est important de comprendre comment les traits autistiques peuvent être confondus avec la dysphorie de genre et mal diagnostiqués. J’ai donc dressé une liste pour aider à cette compréhension.
Les personnes autistes sont confrontées à un certain nombre de difficultés qui s’intensifient lorsqu’elles ne bénéficient pas d’un diagnostic approprié ou qu’elles ne sont pas suffisamment informées sur la manière dont leurs caractéristiques peuvent se manifester. Parmi les caractéristiques qui peuvent conduire à une confusion sur leur « genre », on peut citer les problèmes d’identité, la rigidité ou la pensée « noir et blanc », les intérêts intenses et restreints, les comportements non conformes au genre, les difficultés sociales et la préférence pour la socialisation en ligne, l’incongruité avec le corps, et d’autres comorbidités.
À l’adolescence, les autistes ont généralement l’intuition qu’ils sont différents de leurs pairs, mais ils sont incapables d’en préciser ou d’en décrire la raison, ce qui peut être angoissant. Alors qu’ils luttent pour s’assimiler, ils peuvent se préoccuper de se comprendre eux-mêmes et de savoir comment ils s’intègrent à leur entourage. Dans une tentative désespérée de résoudre leur détresse, ils peuvent « essayer » différentes identités ou diagnostics pour voir ce qui leur convient.
L’une des principales caractéristiques de l’autisme est la rigidité de la pensée, un style cognitif qui se caractérise par des schémas de pensée, des comportements et des routines rigides et répétitifs.
L’une des caractéristiques de l’autisme est l’intérêt intense et obsessionnel pour certains sujets ou passe-temps, également connus sous le nom d’ « intérêts spécifiques ». Les intérêts spécifiques sont une caractéristique commune des TSA et peuvent devenir des passions dévorantes, qui procurent aux individus un sentiment de confort, de plaisir et de maîtrise.
La recherche suggère qu’il peut y avoir des différences entre les sexes dans les types d’intérêts particuliers que les garçons et les filles autistes développent. Par exemple, une étude a montré que les filles autistes étaient plus susceptibles de s’intéresser aux personnes et aux animaux, tandis que les garçons autistes étaient plus susceptibles de s’intéresser aux objets et aux systèmes.
Il est tout à fait possible que les personnes TSA, en particulier les femmes, s’intéressent de près à la justice sociale et aux questions relatives aux transgenres. Elles peuvent devenir obsédées par l’exploration et la compréhension de l’« identité de genre », y compris leur propre expérience et celle d’autres personnes « de genre différent ». Cet intérêt peut se traduire par des lectures et des recherches sur l’identité de genre, par la participation à des groupes de soutien ou à des événements de défense, par des expressions créatives en ligne ou par l’adhésion à des communautés en ligne.
Historiquement, les personnes autistes sont plus susceptibles de présenter un comportement sexuel atypique. Il ne faut pas décourager les jeunes d’adopter un comportement non conforme au genre. Il est tout à fait naturel et normal qu’une fille ait des traits et des intérêts plus stéréotypés masculins et qu’un garçon ait des traits et des intérêts plus stéréotypés féminins — cela n’équivaut pas à une dysphorie de genre.
Difficultés sociales
Le genre est souvent présenté comme une « construction sociale », et l’un des traits caractéristiques de l’autisme est une foule de défis sociaux. La difficulté à s’adapter aux « rôles de genre » peut contribuer de manière significative au rejet du « rôle de genre » perçu, ce qui peut conduire à un rejet de leur sexe biologique par extension.
Préférence pour la socialisation en ligne
Les personnes autistes ont plus de difficultés avec les relations sociales « dans la vraie vie », ce qui les amène à préférer la socialisation en ligne, qui peut être plus facile et moins stressante pour elles. L’une des raisons est que les interactions en ligne peuvent donner un sentiment de contrôle et de prévisibilité qui peut faire défaut dans les interactions en face-à-face.
Les personnes autistes peuvent trouver plus facile de communiquer en ligne parce qu’elles ont plus de temps pour traiter les messages et y répondre. Elles peuvent également éviter les communications non verbales qu’elles ont du mal à interpréter. En outre, la communication en ligne peut être moins épuisante et moins stimulante sur le plan sensoriel que la communication en personne.
Une autre raison est que les interactions en ligne peuvent permettre d’entrer en contact avec d’autres personnes qui partagent des intérêts ou des expériences similaires, ce qui peut être plus difficile à trouver en personne.
Actuellement, il y a une forte convergence entre la communauté des autistes en ligne et la « justice sociale ».
Les autistes ont du mal avec l’intéroception (détection des signaux internes de votre corps). Elles peuvent reconnaître qu’elles se sentent mal à l’aise, mais elles ont du mal à interpréter leurs signaux corporels et à en déterminer l’origine. Ce problème est aggravé par l’alexithymie (incapacité à identifier et à décrire les émotions). En l’absence d’un diagnostic approprié, cette situation peut contribuer à un sentiment d’incongruité avec son corps.
Les autistes, surtout s’ils n’ont pas été diagnostiqués, peuvent facilement être submergés par les stimuli sensoriels, mais n’ont pas toujours les mots pour exprimer ce qui les met mal à l’aise. Une gêne permanente dans son corps peut être attribuée à tort à une dysphorie de genre.
Les personnes autistes, en particulier celles qui n’ont pas été diagnostiquées, sont plus susceptibles de souffrir de troubles mentaux concomitants, tels que l’anxiété ou la dépression, ce qui peut compliquer l’évaluation de la dysphorie de genre.
Les autistes ont des difficultés sociales qui les empêchent de nouer et d’entretenir des amitiés, ce qui conduit à l’isolement et à la dépression, et cet effet est aggravé lorsque le diagnostic d’autisme n’est posé qu’à l’âge adulte.
Idées suicidaires
De plus en plus de recherches ont montré que les jeunes et les adultes autistes semblent présenter des taux plus élevés de pensées, de projets ou de comportements suicidaires que les jeunes non autistes.
Troubles obsessionnels compulsifs
Les personnes autistes sont plus sujettes aux troubles obsessionnels compulsifs et peuvent être obsédées par leur désir de devenir le sexe opposé pour échapper à leur mal-être.
Les personnes autistes sont plus susceptibles d’avoir des problèmes d’image corporelle qui peuvent les amener à faire une fixation sur leur poids (troubles alimentaires tels que l’anorexie ou la boulimie) ou sur les défauts qu’elles perçoivent (dysmorphie corporelle).
L’anxiété est une affection concomitante fréquente chez les personnes autistes.
Troubles gastro-intestinaux
Les troubles gastro-intestinaux (GI) sont l’une des pathologies les plus fréquemment associées aux troubles du spectre autistique (TSA). Ces troubles peuvent contribuer à l’inconfort et à l’incongruité du corps.
Des recherches indiquent un lien entre le syndrome des ovaires polykystiques (SOPK) et l’autisme. Le SOPK est une maladie hormonale qui implique des interactions complexes entre les ovaires, les androgènes, d’autres hormones et l’insuline. L’une des principales caractéristiques de cette maladie est l’augmentation des niveaux d’androgènes ou « hormones mâles ». L’augmentation du taux d’androgènes, associée à la virilisation, peut être une source de détresse considérable pour plusieurs femmes et entraîner une forme de dysphorie de genre.
Si une personne autiste vit une expérience traumatisante, elle est plus susceptible de l’intérioriser. Si elle est victime d’abus sexuels, elle peut développer des associations négatives avec la partie de son anatomie qui a été maltraitée et ressentir le besoin de la rejeter.
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