Déradicalisation et psychotraumatisme : un marche juteux pour les charlatans
Par Sophie Robert
« Oups. Parlez-moi de vos grands parents ».
Mercredi 8 septembre, Bruce Toussaint reçoit sur le plateau de BFM TV une rescapée des attentats du 13 novembre 2015. Sophie Parra était au Bataclan. Blessée par balles à la jambe, elle s’est cachée sous un corps pour survivre. Lorsque Bruce Toussaint évoque son processus de réparation psychologique, Sophie Parra fait cet aveu édifiant : le premier psy auquel l’a adressée la cellule psychologique s’est endormi en séance, alors qu’elle lui expliquait ce qu’il lui était arrivé. La question qu’il lui a posé à son réveil en sursaut « Parlez-moi de vos grands parents » ne laisse aucun doute sur sa formation psychanalytique.
Ce sommeil décomplexé fait résonner en moi de nombreux échos.
Des critiques de la psychanalyse, et d’anciens psychanalystes ont glosé sur les raisons du cadre de la cure initié par Freud.
Dans la cure type, le fauteuil du psychanalyste est placé au bout du divan, derrière la tête de l’analysant de telle façon que celui-ci ne puisse le voir.
Cette posture est idéale pour permettre au psychanalyste de rédiger son courrier, bailler ou somnoler.
Pardon, exercer son « attention flottante »…
Le psychanalyste Laurent Danon-Boileau, spécialiste de l’autisme, l’évoque au cours d’une séquence mémorable de mon film LE MUR, la psychanalyse à l’épreuve de l’autisme : « Si l’enfant ne fait rien de toute la séance, si je somnole à côté de lui, ça m’est égal, je suis habitué à ça dans mon travail de psychanalyste ».
A défaut de faire évoluer leur pratique, les psychanalystes savent surfer sur l’air du temps pour imposer partout leur sommeil lucratif.
Il y a quelques années c’était la maladie d’Alzheimer, devenue grande cause nationale à laquelle fut allouée des budgets conséquents. Quelle aubaine ! Des patients en fin de vie et sans mémoire, pour exercer son attention flottante, autrement dit roupiller tranquilles aux frais du contribuable.
Aujourd’hui, deux nouveaux marchés sont à prendre : celui de la dé-radicalisation et celui du psycho traumatisme. Les besoins sont énormes, les politiques sont pressés et totalement ignorants des orientations fondamentales des « psys » français auxquels ils s’adressent.
Le Centre d’Études des Radicalisations et de leurs Traitements (CERT) se présente comme un Institut de recherche de l’Université de Paris (campus Diderot), créé en partenariat avec la Fondation Maison des Sciences de l’Homme (FMSH). Les membres de cet institut et son comité scientifique sont très largement d’obédience psychanalytique.
Dans cette vidéo, la secrétaire générale du CERT interviewe la psychanalyste Geneviève Morel au sujet de son nouveau livre : « Terroristes, les raisons intimes d’un fléau global ».
Geneviève Morel y développe la thèse selon laquelle un événement intime serait à l’origine de processus radicalisation, lequel sera déclenché par une rencontre, suivie par un passage à l’acte. Il faudrait remonter à cet événement intime pour déradicaliser. Donc, pour soigner les terroristes, il faut les mettre sur le divan.
Bien sûr, les psychanalystes peuvent continuer à dormir, en prison les terroristes sont désarmés.
Si le discours de cette dame est vaseux, il semble bien inoffensif. Elle fonde pourtant sa pratique sur un système de pensée aussi idéologique et radicalement sexiste que les terroristes du bataclan.
Geneviève Morel a créé à Lille une micro secte néo lacanienne, ALEPH-savoir et clinique, au sein de laquelle elle règne sur un petit groupe de psychanalystes, des hommes. Lors des repérages de ma série dédiée à la psychanalyse, j’avais sollicité l’un d’eux pour une interview. Il m’avait dit « je ne sais pas si je peux accepter cette interview, il faut demander à Geneviève Morel, c’est elle qui décide ».
Geneviève Morel est l’autrice du livre programmatique de ce groupe : « La loi de la mère, essai sur le sinthome sexuel » est paru en 2008 ». Figure incontournable de la doxa psychanalytique, Médée la dévoreuse d’enfants figure en couverture.
La psychanalyse y développe toutes les théories psychanalytiques de la mère psychogène, incestueuse, toxique, abusive par nature, génératrice de toutes les pathologies psychiatriques, du seul fait d’être une femme.
Une seule source pour toutes les pathologies : le lien maternel, mortifère par définition. Une seule voie curative : couper ce lien par tous les moyens.
Le point crucial de l’argumentation : la mère serait toxique/incestueuse par nature parce que la femme n’existe pas et qu’il n’y aurait pas d’harmonie sexuelle possible entre hommes et femmes.
Extraits
P12 : Ma thèse est la suivante : encore infans, nous sommes confrontés à la jouissance de notre mère. Pour ne pas nous y perdre, nous devons nous séparer de ce qui s’en impose à nous avec la force d’une loi, d’une loi singulière et folle qui fait de nous des « assujets ». De ce premier assujettissement notre inconscient gardera des traces toute notre vie. Or, se séparer de la « loi de la mère » est couteux : nous fabriquons des symptômes séparateurs qui sont en fait l’enveloppe de la seule loi universelle que reconnait la psychanalyse, l’interdit de l’inceste. Si ne pas se séparer de sa mère constituerait certes une pathologie gravissime de la loi, le symptôme qui nous en sépare en est une autre, mais nécessaire et inévitable.
P13 : L’infanticide n’est-il pas ce qui met le mieux en évidence l’obscur statut de « l’enfant-objet » dans le désir maternel ?
P 15 : Dans la psychose (…) le sujet tente de mettre en place d’autres types de symptômes pour se séparer de la mère. Le symptôme peut même l’empêcher de devenir « fou » au sens où il déclencherait sa psychose. Dans cette nouvelle conception, le symptôme, même si le sujet s’en plaint, devient un support nécessaire pour se séparer de la jouissance maternelle.
P25 : Le psychotique forclôt le Nom-du-Père et le phallus et il doit, sans ces appuis symboliques, construire un délire qui le situe autrement dans le désir de sa mère.
P28 : La responsabilité de la mère dans la forclusion apparaît aussi dans sa façon de dénigrer sans cesse l’autorité du père.
P34 : Freud pose le cadre épistémologique de l’ambiguïté sexuelle lorsqu’il affirme l’absence d’une pulsion féminine et l’existence d’une seule libido pour les deux sexes ; de même lorsqu’il fait du phallus et du complexe de castration le centre de la vie sexuelle des garçons comme des filles. Lacan le suit avec ses célèbres aphorismes « il n’y a pas de rapport sexuel » ou « la femme n’existe pas ».
P53 : il y a impossibilité que s’écrive, pour l’être humain, un rapport d’harmonie ou de proportion entre les sexes qui soit comme l’instinct animal ou « une loi scientifique d’attraction des sexes » et qui permette à chacun de se fonder homme ou femme grâce à ce rapport.
P75 : La femme incarne donc la chute et le vertige, c’est-à-dire le symptôme de la castration et de la faiblesse du héros masculin.
P93 : L’appétit de jouissance de la mère implique aussi structuralement l’inceste, la possession corporelle et sexuelle des enfants. (…) Lacan réécrit la Genèse comme une métaphore paternelle mise complètement sens dessus dessous : au départ il y a bien Dieu le père, mais il est doublé ensuite par la mère et son désir illicite du phallus.
P100 : Dans RSI (NB : Réel Symbolique Imaginaire) Lacan énonce sa formule, vouée à un grand avenir, qu’une femme est un symptôme pour l’homme. (…) Même si ce n’en est pas la seule raison, elles deviennent donc le symptôme de l’homme parce qu’elles ont été, comme mères, la source même du symbolique comme le lieu de lalangue et de l’inconscient de l’homme-enfant. La même chose vaut pour les filles : le symptôme leur vient d’abord de leur mère, et va même jusqu’au ravage par l’homme qui en prendra la place. (…) Il faut d’ailleurs noter, à propos de l’expression de « duplicité du symbole et du symptôme », que le terme de duplicité a souvent caractérisé le féminin pour Lacan, et cela bien avant qu’il ne parle, dans Encore, de la division de la jouissance féminine pastoute entre la jouissance phallique et la jouissance de l’autre.
P161 : La Chose, dans la psychanalyse, peut-être la mère primordiale dont Mélanie Klein a décrit les incidences pathologiques sur l’inconscient infantile. Ou encore la femme, en tant que son sexe, non symbolisable par l’inconscient freudien, reste une énigme réelle.
P211 : Carence réelle et universelle du rapport sexuel entrainant l’ouverture incestueuse du désir maternel à l’enfant.
(…)
Ainsi, le symptôme de l’enfant répond fondamentalement à une carence structurale : le non rapport sexuel des parents qui libère sauvagement le désir maternel auquel est d’abord assujetti l’enfant dans la matérialité même des « mots » de la mère, la loi équivoque de sa parole.
P234 : L’absence de signification phallique du désir maternel se traduit en effet par un défaut du rapport du sujet à la vie, puisque le phallus imaginaire est le point où « le sujet s’identifie à son être vivant ».
P282 : Il existerait en fait une identification fondamentale et indélébile du fils au désir de la mère pour le phallus, voire au pénisneid de la mère. Les « séquelles » de la relation primordiale à la mère seront donc multiples, même dans les cas où la métaphore paternelle a fonctionné.
Si les terroristes sont suffisamment ravagés pour que la rencontre du « sinthome sexuel » n’aggrave pas leur cause perdue, leurs victimes, elles, méritent mieux, infiniment mieux, que ces délires de branquignoles qui font grassement rémunérer leurs siestes aux frais du contribuable.
Chaque semaine je reçois de nouveaux témoignages de personnes victimes de stress post traumatique ravagées par des années de divan.
Il existe en France de vrais spécialistes du psycho-traumatisme. La pratique de ces psychologues et psychiatres les tient souvent en éveil à une heure tardive où le sommeil devrait les cueillir. Ces femmes et ces hommes engagés utilisent un arsenal thérapeutique fondé sur les preuves, pour réassocier et ramener à la vie celles et ceux qui ont connu l’indicible.
Sophie Robert
11 09 2021